Au fil de la plume, en terrasse, place de Lla Franc, 28 ou 29 ou 30 sept 2011, 11h30 - souvent "revu et corrigé" depuis
Café Terrasse Llafranch
Température douce mi-figue mi-raisin
Froissement des pages du journal
tenu
tournées
la belle main de mon Vis-à-vis
un chat noir, de la famille des faméliques, sous notre table, glisse
autour les voix
montent et descendent graves hispaniques
parfois une plage un soupir un repos soudain quand pause le bruit proche
– la mer en ressac léger au loin dans l'ouverture
en fond les sons les échos de paroles le doux guttural des suaves grosses cylindrées qui passent dans la rue étroite à très basse vitesse
paisible ensemble dans le tintement des tasses que le serveur ramasse et pose sur son plateau le léger grincement des pieds de chaise quand on les pousse quand on se lève pour partir
une voiture klaxonne sans grand dommage pour le tissu lisse du moment
*
Côté Presse les nouvelles du monde ne sont pas franchement réjouissantes en ce septembre 2011
ici
du temps et de l'espace
en pointe d'épingle sur la carte
je suis je vois
deux hommes éternuent ensemble
deux femmes en passantes en chantant leur catalan
sur la terrasse du café
deux couples attablés une femme seule
un homme en noir non juste le blouson
se lève
va au comptoir où chacun rapporte sa tasse son plateau les déchets du petit déjeuner
il faut traverser la rue
et très vite et insensiblement tout est changé
à présent un couple de plus deux parents et leur fils arrivent
– non ils changent d'avis repartent
deux hommes sont venus s'installer à deux tables
un américain est soudain là Herald Tribune et son américaine
La rue s'anime de plus en plus
un très petit pépie dans la croissanterie à mon oreille gauche
flottent succulentes subtiles odeurs de chaude boulangerie
narine enchantée
un homme a sifflé quelque part sur la place et continue sa petite chanson
un autre jeune un éphèbe vêtu uniquement d'un short kaki informe
thorax d'anthologie poli comme pierre au soleil
veut tout de suite incessamment d'un petit café d'un croissant ou quelque chose
file au comptoir
l'américain l'américaine devisent très audibles
à propos d'un DJ de la philosophie
ou de la sociologie des DJ
ou et de l'économie du jude-box
si si
le soleil est déjà voilé par une très fine brume
effets contre-jour saisissants
*
A ma droite s'installent deux enfants violemment stridents plus famille
à ma gauche s'asseyent deux ou trois catalans d'âge moyen à mûr et bien mûr...
bref je ne m'entends plus
nous sommes cernés
je voulais ne pas perdre ces deux barques le triangle de leurs voiles
dans le port de Calella tôt ce matin
immenses latines intemporelles merveilleuses
accostant en mourant le long du plus petit quai qui soit
élégantes et précises comme oiseau se posant
grandes ailes modulant l'air
parfaite exactitude
sur l'arête d'un roc
ça-y-est l'enfant hurle
un autre chat de la même famille efflanquée de tout à l'heure
traverse la scène
une vespa irritable grince des dents en montant la rue
le ciel est très spécial d'un gris pâli qu'on prendrait pour du bleu
la lumière un soleil deviné
un coeur invisible à l'oeil nu
mais dont on a
encore pour un temps
la certitude qu'il bat
toujours
encore
*
L'enfant adore hurler
le chat repasse dans l'autre sens
la serveuse (c'est une serveuse à présent) remue les chaises
la dame bien mûre verse un flot de paroles saccadées et sonores
les plus jeunes à droite font contrepoint
un troisième groupe se joint à la compétition mais lâche tout de suite
ça fume des cigarettes
ça tourne les pages du journal aussi
front baissé
à propos de journal mon Vis-à-vis est plongé profond dans le sien
de mon point de vue je perçois qu'il en est à la page dix-sept
la délivrance est proche
le ciel est presque blanc en fait
les voix se sont calmées
parenthèse
crampe à ma main droite qui trace au fil
*
Ah! Vis-à-vis en est à la page dernière
Quelqu'un siffle crie « Maria ! »
le second appel à Maria est non suivi d'effet
elle court toujours en rond en cercles en jouet remonté
je soupçonne qu'il s'agit de notre hurleuse
Maria enfin consent à rejoindre ses parents
qui crient qu'il ne faut pas crier
et acclament fortissimo « Maria carita! »
Réjouissances!
Soudain Le Monde est plié rangé
« il te faut combien de temps encore ? » demande Vis-à-vis
la vie entière mon ange et plus encore